Rer A bien qui Rer A le dernier

August 28, 2005

Le RER A pour les non-parisiens, c’est une ligne de train qui traverse Paris d’est en ouest par dessous, où s’entasse quotidiennement votre serviteur accompagné de ses amis les parisiens pour aller s’enfermer dans des bureaux climatisés à la Défense. Telles de dociles petites fourmies on descend, on attend, on remonte. Il faut souffrir en silence. C’est une mécanique bien huilée avec le temps qui de temps à autre nous transforme en sardines, au moindre petit grain de sable suspect déposé sur les rails. Dès lors, on arrive à ouvrir les yeux pour regarder un peu autour, les oreilles, puis éventuellement les narines pour observer du bout du nez le grand duel des effluves : Chanel n°42 vs Odeurs corporelles de Raymond. Le système olfactif, comme la mémoire, peut se montrer très séléctif, mais éffleurez du talon le pied du voisin et on vous fera alors remarquer qu’il est des plus convenable de s’excuser car on ampute pas impunément les petons de ses concitoyens.L’occupation éprouvante de ces espaces est souvent de courte durée, et à chaque gare on échange les voyageurs usés par de nouveaux. C’est l’occasion de faire la différence entre le voyageur occasionnel (aussi appelé “touriste”, “vache à lait”, ou simplement “boulet” les mauvais jours) et l’esclave de luxe francilien au premier coup d’oeil. Alors que le premier, voyant arriver ses amis les humains, panique en sautillant, veut leur montrer qui est le chef b*rdel et s’empresse de plaquer tout ce qui dépasse pour monter ou descendre en premier selon l’humeur ; alors qu’il pousse des hurlements en s’arrachant les poils du torse, l’habitué lui, sait. Il pratique le zen dans un club hors de prix donc à la mode, a appris qu’il est plus facile de rentrer dans une rame une fois descendus les descendants mais pas de l’arbre, et qu’en fin de compte rien ne sert de pousser, il faut partir à point. C’est un principe troglodyte qui s’applique par ailleurs dans bien d’autres occasions que je vous laisse la joie de découvrir.

Avec la fin des vacances cependant, les raisons de déplorer sa condition d’homo sapiens disparaîssent progressivement. Du moins, on a plus de touristes à mépriser, plus rien pour mettre le menton en avant, c’est le petit creux d’avant La Rentrée. Traînant doucement les pieds, le microcosme parigo retrouve sa place, un peu plus bronzé qu’auparavant, l’air concentré tout en lisant 20 minutes, le journal auquel il ne manque que le gadget Pif pour être intéressant. Enfin, on peut à nouveau se concentrer sur une chose : s’ignorer royalement avec une hostilité à peine perçue qui fait beaucoup d’envieux à travers le monde métropolitain. Si le touriste est une proie facile, il faut savoir chasser pendant la saison froide, et rester sur ces gardes sous peine de crever la gueule ouverte, fracture du crâne à coups d’iPod, voire pire le dernier best-seller de Dan Brown. C’est plus mou et il faut pas mal insister pour en faire quelque chose. Je rappelle ici une loi de Kiwi qui pour résumer prétend que tout corps peut en traverser un autre dès lors qu’il est soumis à une force suffisante. Non, pas de TPs sur le sujet, n’insistez pas.

Trop occupé à débattre avec moi même de la vacuité du néant, ce matin je ne m’étais pas aperçu des hordes néo-castelistes des Halles pénétrant la rame. Or, j’en arrivais tranquillement à la conclusion que le vide n’était qu’une saloperie d’idée propriétaire à remplacer par un système Unix libre quand un jeune individu, dans la force de l’âge du soixante-huitard de droite (càd un “vieux con” dans le jargon), me montre son canard chronométré.

« ’Té, regardez-ça, ah ah les cons du PS ! » Je jette un oeil vers les judicieusement nommés pour savourer le style et la verve si particulière des articles de son adorable volatile. L’université d’été du parti se tenait alors dans un coin de France, il semble qu’un schisme déchire autant les journalistes que le parti « politique » en manque de publicité. S’il pouvait aussi déchirer son journal « ce serait vraiment super » (© Office Space). Ça ressemble un peu à de la télé-réalité pas chère : le seul moyen d’intéresser une certaine majorité badigeonnée d’indice 210 c’est de mettre en scène les autres, de préférence en train de se tirer, éventuellement la gueule. Pas de plage, ni même de piscine ici, pas un bout de cuisse, on est serrés question budget.

Je m’en fous complètement de son article, du PS ou de Laurent Fabius, mais maman m’a dit d’être poli avec les inconnus, alors « Hmm oui en effet, ils n’ont pas l’air trop d’accord. » Il en veut plus on dirait, il faudrait que tout le wagon se marre parce qu’ils sont vraiment trop cons ces connards du PS de gauche, même pas des vrais communistes. Admettons, c’est un gros lourd mais je ne peux pas lui dire comme ça, il faut que son lobe gauche l’amène sensiblement à douter.

« Et vous votez pas à gauche vous, si ? » Ah putain, pourquoi moi ? Dans tous le réseau ferré d’île de France il y’a un boulet qui veut parler politique, pas deux sinon on les aurait mis ensemble, et bien sûr celui là c’est moi qui me le tape. Si je jouais au Loto on me demanderait de l’argent. Bon euh… hop hausse les sourcils, sourrit gentiment, on arrive bientôt à la Défense, c’est presque fini ; zaine. « Ah non, moi je vote pas, je suis anarchiste, c’est pour les gros cons, casse toi, en fait c’est surtout que les histoires de parti(e)s m’intéressent moyennement, en dehors des miennes je veux dire. » Oups, c’est parti tout seul, qu’est-ce qu’on rigole.

« Hé ? » Il arrive presque à faire des « Hein » entiers avec son demi-cerveau c’est un début. Peut-être qu’en répétant… « Non, je dis que je ne vote pas parce que ça ne m’intéresse pas vraiment les histoires dans ce genre. » Variations sur un même thème. Qu’à cela ne tienne, c’est surprenant qu’à mon âge on ne s’inquiète pas de la santé politique de sa « patrie » (sic ;_;), le PS est un opposant stérile certes mais qui a encore ses racines bien ancrées dans les esprits gâteux les plus démunis. Là j’ai vomis, enfin non j’ai pouffé mais le coeur y’était. Il se prend en exemple comme beaucoup de gens qui dépassent un certain âge, pour m’expliquer à quelles fins il est intelligent de voter correctement, à tribord mon capitaine. Je croise quelques regards desolés, mais je fais surtout mine de boire ses paroles comme un enfant de coeur à genoux devant un euh… etc. Je me demande s’il est possible de regarder l’heure discrètement, pfiouu qu’est ce que c’est long. D’habitude c’est plutôt mon grand-père qui tient ce genre de discours, avec un peu plus de retenue mais déprimant quand même.

Après ce qui semble six mois à le regarder baver en stéréo, on arrive au point qui nous sépare, où je peux vider le crachoir sur les rails. Là je le cerne un peu mieux, il est content qu’on l’ai écouté, j’imagine la satisfaction sociale comme des endorphines qui affluent derrière le cerveau, jusqu’aux oreilles. L’écouter parler, il doit être le seul à faire preuve d’autant d’abnégation. Avant l’escalator, courtois, je finis par lui demander « Oui j’ai bien compris tout ça, mais alors je dois voter pour qui ? Sarkozy ou Le Pen ? »